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Dans l’affaire C‑442/22 en date du 30 janvier 2024, la CJUE rappelle indirectement le rôle essentiel que doit jouer la Piste d’Audit Fiable (PAF) dans la gestion des risques fiscaux au sein des entreprises, cela peu importe leur taille.  

Les faits sont les suivants :  au cours de la période allant de l’année 2001 à l’année 2014, la société P, assujettie à la TVA, exerçait notamment une activité de vente de carburants au détail dans une station-service gérée depuis le mois de novembre 2005 par P. K., employée de cette société.

À la suite d’un contrôle fiscal, il a été constaté que, entre le mois de janvier 2010 et le mois d’avril 2014, ladite société avait émis 1 679 factures indiquant un montant de TVA ne reflétant pas des ventes réelles de biens, pour une valeur totale de 1 497 847 zlotys polonais de TVA (environ 319 254 euros), à des entités qui ont déduit la TVA indiquée sur ces factures.

Lesdites factures n’ont pas été enregistrées dans la comptabilité de la société P et la TVA correspondante n’a pas été versée au budget de l’État, ni portée dans les déclarations fiscales de cette société.

Les factures litigieuses étaient fictivement rattachées à des ventes effectives réalisées par la station-service gérée par P. K. (employée de la société) et enregistrées par les caisses enregistreuses de la société P. En effet, ces factures étaient accompagnées de tickets de caisse authentiques, correspondant à des opérations effectivement réalisées avec des entités autres que celles indiquées sur lesdites factures, et ont été émises et vendues par P. K., sans le consentement et à l’insu de la direction de cette société, à des fins d’obtention frauduleuse d’un remboursement de la TVA par les entités qui étaient destinataires des mêmes factures. Ces tickets de caisse étaient récupérés par des employés de la station‑service, qui les remettaient à P. K. en contrepartie d’un avantage financier. Les factures litigieuses étaient enregistrées sur l’ordinateur de la station-service dans un format différent de celui des factures régulières, émises par la société P, et ne pouvaient pas être consultées sans que cet ordinateur soit déverrouillé. P. K. utilisait les données de la société P en la mentionnant en tant qu’émettrice des factures litigieuses et en indiquant le numéro d’identification fiscale de cette société sur celles-ci.

Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1) L’article 203 de la [directive TVA] doit-il être interprété en ce sens que, lorsqu’un employé d’un assujetti à la TVA a émis une fausse facture mentionnant la TVA, sur laquelle il a indiqué les données de son employeur en tant qu’assujetti, à l’insu de ce dernier et sans son consentement, il convient de qualifier de personne mentionnant la TVA sur la facture et redevable de la TVA : l’assujetti à la TVA, dont les données ont été utilisées illégalement sur la facture, ou l’employé qui a mentionné illégalement la TVA sur une facture en utilisant les données d’un assujetti à la TVA ?

 

2) Afin de déterminer qui doit être qualifié de personne mentionnant la TVA sur une facture et redevable de la TVA, importe-t-il de savoir si l’assujetti à la TVA qui emploie un travailleur qui a illégalement mentionné les données de l’assujetti qui l’emploie sur une facture de TVA peut se voir reprocher un manque de diligence dans la surveillance de cet employé ?

Sur ces questions préjudicielles, pour la Cour de Justice, l’article 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que « lorsqu’un employé d’un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a émis une fausse facture mentionnant la TVA en utilisant l’identité de son employeur en tant qu’assujetti, à l’insu de ce dernier et sans son consentement, cet employé doit être considéré comme étant la personne mentionnant la TVA, au sens de cet article 203, à moins que cet assujetti n’ait pas fait preuve de la diligence raisonnablement requise pour contrôler les agissements dudit employé. ».

En droit interne, dans une telle situation, c’est au sujet de la preuve de la diligence raisonnablement attendue des entreprises quant à leur(s) processus de contrôle interne et notamment des flux de facturation que le bât blesse. En effet, d’aucuns considèrent, à tort, que la PAF et sa documentation sont une perte de temps et représentent une « obligation de plus » dans un contexte d’inflation législative.

Il reste qu’à l’heure de la réforme de la facture électronique, la mise en place de la PAF et de la documentation associée doit permettre aux entreprises de vérifier « si la substance de leur facture est correcte c’est-à-dire si la prestation rendue ou le bien livré est bien conforme à la présentation qui en est faite sur la facture (en quantité et en qualité) et si l’émetteur de cette dernière dispose dès lors d’un droit à paiement. Autrement dit, ils permettent d'établir le lien entre une facture, justificatif comptable et fiscal, et la réalité de l'opération facturée ».[1].

La PAF est un moyen de garantir l'authenticité de l'origine, l'intégrité du contenu et la lisibilité de la facture qui doivent être assurées à compter de son émission et jusqu'à la fin de sa période de conservation. Les contrôles établissant la PAF doivent être documentés c'est-à-dire être décrits, présentés et expliqués par l'entreprise. L'objectif de la documentation est de montrer que les contrôles mis en place par l'entreprise sont effectifs et réels, et de permettre à l'administration de les appréhender facilement lors d'un contrôle. La documentation PAF concerne tous les flux d’achat et de vente des entreprises, quelle que soit leur nature.

Malgré son importance, la PAF et sa documentation sont trop souvent négligées par les entreprises. Les risques sont pourtant importants pour les entreprises puisque, outre une sanction financière, l’insuffisance (voire l’absence) de piste d’audit fiable et/ou de sa documentation peut entraîner un rejet de la déductibilité de la TVA, une majoration de la TVA collectée et, dans les cas les plus graves, un rejet de comptabilité.

Avec sa décision du 30 Janvier dernier, la CJUE insiste indirectement sur la nécessité pour les entreprises de mettre en place une piste d’audit et un processus de contrôle interne afin de lutter contre la fraude à la TVA et de protéger leur responsabilité le cas échéant.

A l’heure où les contrôles fiscaux sont et vont devenir de plus en plus performants du fait, notamment, de l’utilisation du data mining, la mise en place d’une piste d’audit fiable s’analyse désormais comme un préalable indispensable pour une entrée réussie dans la réforme de la facture électronique (e-invoicing et e-reporting). 

 

[1] BOI-TVA-DECLA-30-20-30-20, &90